Pourquoi les start-up bousculent la logistique
La logistique a longtemps avancé au rythme des chariots élévateurs et des tableaux Excel. Puis sont arrivés les algorithmes, les capteurs IoT, les robots et les plateformes collaboratives. Résultat : la supply chain se digitalise à marche forcée, poussée en grande partie par des start-up qui n’ont pas peur de remettre en cause les habitudes bien ancrées.
Dans cet article, je vous propose un zoom sur trois start-up qui ne se contentent pas de « faire du buzz », mais qui apportent de vraies réponses terrain à des problématiques que vous connaissez bien : la visibilité, l’automatisation et la flexibilité capacitaire.
Au programme :
- Une meilleure visibilité temps réel des flux pour réduire les coûts cachés
- Une automatisation intelligente des entrepôts sans tout refaire à zéro
- Une capacité de stockage et de transport plus flexible, en mode “on-demand”
On laisse de côté les effets d’annonce et on regarde ce qui fonctionne vraiment sur le terrain.
Start-up n°1 : Shippeo – La visibilité temps réel comme arme anti-surprises
Si vous gérez des flux transport, vous connaissez le problème : un camion en retard, une info qui arrive trop tard, un client qui s’énerve… et un planning qui explose. Le suivi par téléphone et par email atteint vite ses limites. C’est précisément sur ce point que des start-up comme Shippeo ont décidé de frapper fort.
Leur promesse : fournir une visibilité temps réel sur vos transports, quel que soit le transporteur, le type de véhicule ou le pays. Plus besoin d’attendre le fameux « ne vous inquiétez pas, il est en route » sans preuve à l’appui.
Concrètement, la plateforme se connecte :
- Aux télématiques des camions
- Aux applications mobiles des chauffeurs
- Aux systèmes d’information des transporteurs
- Éventuellement à vos propres TMS, WMS ou ERP
Elle agrège ensuite ces données pour fournir :
- Une ETA (heure d’arrivée estimée) recalculée en continu
- Des alertes proactives en cas de retard, détour, incident
- Une traçabilité unifiée de tous vos flux, même multi-transporteurs
Où est la révolution pour votre supply chain ? Elle tient en trois impacts très concrets.
1. Moins de coûts cachés
Chaque retard non anticipé coûte cher : replanification, attentes en quai, surcoûts de main-d’œuvre, pénalités, re-livraison… En disposant d’une ETA fiable, vous pouvez :
- Réorganiser les équipes de quai au bon moment
- Prévenir les clients avant qu’ils ne vous appellent
- Limiter les temps d’attente chauffeur
- Réduire les coûts liés aux créneaux manqués
2. Une meilleure relation client
Informer un client avant qu’il ne se rende compte du problème, c’est tout de suite un autre niveau de service. Certaines entreprises vont jusqu’à :
- Donner un accès portail à leurs clients B2B pour suivre leurs livraisons
- Envoyer des SMS ou emails automatiques de mise à jour
- Adapter leur promesse de livraison en temps réel
3. Des données pour optimiser les schémas transport
Avec des centaines ou milliers de trajets suivis, vous pouvez enfin :
- Identifier les axes systématiquement en retard
- Comparer objectivement les performances des transporteurs
- Ajuster vos créneaux de livraison à la réalité du terrain
- Repérer les goulots d’étranglement récurrents (ports, hubs, plateformes)
Anecdote terrain : plusieurs chargeurs ont découvert, grâce aux données, que certains retards récurrents n’étaient pas dus aux transporteurs… mais à leurs propres process d’enlèvement trop lents, ou à des créneaux irréalistes. Pas idéal pour accuser le prestataire… mais redoutablement efficace pour optimiser.
Évidemment, la mise en place demande un peu de travail : alignement des transporteurs, gestion du changement en interne, intégration SI. Mais les gains en visibilité, en satisfaction client et en réduction de coûts sont tels qu’on comprend pourquoi ce type de solution se généralise.
Start-up n°2 : Exotec – Les robots qui redessinent l’entrepôt
Passons de la route à l’entrepôt. Là encore, la pression est forte : explosion du e-commerce, réduction des délais de préparation, pénurie de main-d’œuvre, hausse des coûts fonciers… Les anciens modèles de préparation ne tiennent plus la cadence. C’est ici que des acteurs comme Exotec changent la donne.
Leur spécialité : des robots goods-to-person capables de se déplacer en trois dimensions dans des rayonnages spécialement conçus. Plutôt que d’envoyer des préparateurs parcourir des kilomètres à pied, ce sont les bacs qui viennent à eux.
En pratique, le système repose sur trois briques principales :
- Des robots “Skypod” qui se déplacent au sol et grimpent dans les rayonnages
- Une infrastructure modulaire de stockage en hauteur
- Des stations de préparation ergonomiques où arrivent les bacs
Pourquoi ce type de solution séduit autant de logisticiens, des pure players e-commerce aux industriels ? Parce qu’elle répond à plusieurs problématiques clés d’un coup.
1. Productivité multipliée
Les opérateurs ne marchent plus, ils préparent. Le système orchestre la séquence des bacs, les chemins des robots, et optimise en continu les flux. Résultats souvent constatés :
- Productivité de préparation multipliée par 2 à 4
- Réduction drastique des temps de cycle
- Plus grande stabilité des performances entre opérateurs
2. Densité de stockage accrue
Stocker en hauteur avec des allées très resserrées permet d’augmenter la densité au m². Dans un contexte de hausse des loyers logistiques, ce n’est pas un détail :
- Moins de surface pour un volume donné
- Possibilité de rester dans le même bâtiment plus longtemps malgré la croissance
- Réduction des projets coûteux de déménagement ou d’extension
3. Flexibilité et scalabilité
Contrairement à un système de convoyeurs rigide, on peut :
- Ajouter des robots quand le volume augmente
- Adapter le nombre de stations de préparation
- Modifier la configuration sans tout casser
C’est un point clé pour les entreprises dont la charge varie fortement (pics e-commerce, saisonnalité, campagnes marketing, etc.). On évite de dimensionner toute l’installation sur le pic de l’année et d’avoir un entrepôt “suréquipé” 10 mois sur 12.
Anecdote fréquemment remontée par les sites équipés : la difficulté majeure n’est pas toujours technologique, mais humaine. Passer d’un métier très physique, basé sur le déplacement, à un métier plus statique face à des écrans et des bacs, change le quotidien des opérateurs. Les projets réussis sont ceux qui :
- Impliquent les équipes très tôt
- Explique clairement les bénéfices ergonomiques
- Proposent des évolutions de poste et de compétences
Pour la supply chain de demain, ce type de robotisation modulaire montre une chose : on peut gagner en performance sans forcément basculer dans le “tout automatisé”, hors de prix et rigide. L’enjeu est de trouver le bon équilibre entre technologie, flexibilité et réalité terrain.
Start-up n°3 : SpaceFill – Le stockage et la logistique en mode “on-demand”
Dernier maillon, mais pas des moindres : la capacité de stockage et la flexibilité de réseau. Entre pics saisonniers, imprévus industriels, croissance plus rapide que prévu ou au contraire baisse temporaire d’activité, la question est toujours la même : comment ajuster rapidement son réseau logistique sans se ruiner ni s’enfermer dans des contrats rigides ?
C’est justement le terrain de jeu de start-up comme SpaceFill, souvent présentée comme une sorte d’« Airbnb de l’entreposage ». L’idée : mettre en relation des entreprises qui ont besoin d’espace de stockage avec un réseau de partenaires logistiques (3PL, entrepôts indépendants, industriels disposant d’espace libre).
Que permet ce type de plateforme ?
1. Trouver rapidement de la capacité
Vous avez un pic d’activité, un retard de chantier, un fournisseur qui livre plus tôt que prévu ? Plutôt que :
- Louer dans l’urgence un site entier pour quelques mois
- Saturer vos entrepôts au point de dégrader les opérations
Vous pouvez rechercher de la capacité proche de vos flux, sur des durées courtes ou moyennes, avec différents niveaux de service (simple stockage, logistique de détail, cross-docking, etc.).
2. Tester de nouveaux schémas logistiques
Envie de tester un entrepôt régional pour améliorer vos délais de livraison ? Besoin de vous rapprocher d’un nouveau marché à l’export ? Au lieu de signer d’emblée pour un bail long et un investissement complet en équipements, vous pouvez :
- Louer de la capacité chez un 3PL déjà équipé
- Tester le volume réel et la fréquence des flux
- Ajuster ensuite en fonction des résultats
C’est un levier puissant pour passer d’une supply chain figée à une supply chain expérimentaliste, où l’on teste, mesure, ajuste, au lieu de tout figer dans un schéma rigide pour 10 ans.
3. Optimiser les coûts fixes
Dans beaucoup d’entreprises, l’immobilier logistique est un poste de coûts lourd et peu flexible. Avec un modèle plus “on-demand” :
- On transforme une partie de ces coûts fixes en coûts variables
- On mutualise des infrastructures entre plusieurs acteurs
- On limite les investissements initiaux (CAPEX) au profit de charges opérationnelles (OPEX)
Un exemple très fréquent : des industriels utilisent ces plateformes pour externaliser une partie de leur stock de produits finis, libérant de la place sur site pour augmenter la capacité de production ou améliorer la circulation interne.
Évidemment, tout n’est pas magique : il faut intégrer ces nouveaux sites dans vos systèmes (WMS/TMS), s’assurer du niveau de service, gérer la qualité et la traçabilité. Mais pour des besoins de flexibilité, de tests marché ou de gestion de pic, ces plateformes deviennent un outil stratégique dans la boîte à outils supply chain.
Ce qui relie ces trois start-up : la data comme colonne vertébrale
À première vue, difficile de comparer un robot d’entrepôt, une plateforme de visibilité transport et un “Airbnb” de l’entreposage. Pourtant, ces solutions ont un point commun : elles transforment la data en levier opérationnel.
Dans les trois cas :
- On collecte des données (positions, stocks, flux, capacités disponibles)
- On les traite en temps réel ou quasi temps réel
- On en extrait des décisions opérationnelles : quelle ETA afficher, quel robot envoyer, quel entrepôt utiliser
La différence avec les approches plus traditionnelles ? La vitesse et le niveau de granularité :
- Les ETA ne sont plus calculées une fois par jour, mais recalculées en continu
- Les décisions de stockage ne sont plus uniquement prises en comité stratégique trimestriel, mais ajustées au fil des besoins
- Les schémas de préparation ne sont plus figés, mais optimisés à la minute
En d’autres termes, ces start-up ne se contentent pas d’optimiser un processus existant, elles changent la manière même de piloter la supply chain : moins de “big plans” gravés dans le marbre, plus d’ajustements fins et continus.
Comment s’inspirer de ces approches dans votre propre logistique
Tout le monde ne va pas déployer des robots ou une plateforme mondiale de visibilité du jour au lendemain. Mais il est possible de s’inspirer des principes derrière ces innovations, à des échelles très différentes.
Quelques pistes très concrètes :
- Commencer par la visibilité : même sans solution sophistiquée, centralisez vos informations de transport (heure de départ, incidents, retards). Un simple suivi structuré dans un TMS ou même un tableur partagé est souvent un premier pas vers une vision plus claire des goulots.
- Automatiser progressivement : avant les robots, il existe des solutions de pick-to-light, de put-to-light, de convoyeurs modulaires, qui améliorent déjà beaucoup la productivité. L’important est d’identifier les zones à plus forte valeur ajoutée pour l’automatisation.
- Tester la flexibilité capacitaire : même si vous ne passez pas par une plateforme, explorez les partenariats avec des logisticiens locaux pour externaliser ponctuellement du stock ou des flux saisonniers.
- Mesurer systématiquement : temps de cycle, taux de remplissage, temps d’attente, coûts par commande… Sans mesure régulière, impossible de savoir si une innovation apporte réellement quelque chose.
Au passage, n’oubliez pas un facteur clé : la gestion du changement. La meilleure technologie du monde ne donnera rien si :
- Les équipes ne sont pas formées
- Les processus ne sont pas revus
- Les objectifs restent contradictoires entre services (ex : achat vs logistique vs commerce)
C’est souvent le vrai terrain de jeu des projets “révolutionnaires” : aligner les humains, les process et les systèmes.
Vers une supply chain plus agile, plus visible et plus modulaire
Les trois start-up présentées ici ne sont qu’un échantillon d’un mouvement beaucoup plus large : celui d’une supply chain qui devient à la fois plus numérique, modulaire et orientée service.
Ce qui se dessine, c’est un modèle où :
- Les entrepôts deviennent des plateformes intelligentes, capables d’ajuster en continu leur productivité
- Les réseaux logistiques se configurent et se reconfigurent plus facilement, en fonction des marchés
- Les flux transport sont pilotés non plus “à l’aveugle”, mais avec une visibilité fine et partagée
En filigrane, un message rassurant : il ne s’agit pas de tout jeter pour repartir d’une feuille blanche. La plupart des innovations qui fonctionnent bien sur le terrain s’intègrent dans l’existant, par couches successives, avec des retours sur investissement mesurables.
La vraie question n’est donc pas « faut-il suivre ces start-up ? », mais plutôt « par où commencer pour rendre ma supply chain un peu plus visible, un peu plus flexible et un peu plus automatisée ? ». La réponse, elle, sera propre à chaque entreprise, mais une chose est sûre : ceux qui commencent à expérimenter aujourd’hui seront nettement plus à l’aise dans la supply chain de demain.
